Les
Nouveaux Aristocrades
Petite poli-fiction
(Acte 3)
Lundi
24 novembre 2014
-
« Un marché ? » ne put
s’empêcher d’interroger Marine Le Pen dont le taux de
perplexité ne cessait de croître
minute après minute.
Dans son fauteuil doré recouvert d’un
tissu damassé rouge bordeaux, Nicolas Sarkozy, le cou disparaissant dans un col
amidonné trop grand, allongeait régulièrement les bras vers l’avant en pinçant
du bout des doigts ses poignets mousquetaire afin de faire apparaître des
boutons de manchettes vert jade, puis resserrait son nœud de cravate
triangulaire et trop gros. Il regardait Marine Le Pen avec des yeux de chèvre
morte, un léger sourire mièvre aux coins des lèvres.
Quant à Jean-Christophe Cambadélis,
gominé à bloc et visage rond et rougeaud, il faisait penser à Al Capone ,
« Scarface » sans balafre, ou à un quelconque chicagolais mafieux qu’on
pourrait très bien rencontrer dans l’arrière-salle d’un tripot de la Windy City
, assis autour d’une table à jeu en compagnie de rastaquouères à mines patibulaires,
havane au bec, fausses cartes dans les manches et revolver en poche.
-
« Oui, un marché…enfin, non, pas
exactement…plutôt une sorte d’arrangement que je vais…euh…que nous allons vous
proposer. »
Il rassembla devant lui quelques
feuilles de papier manuscrites, les parcourut un instant, puis reprit.
-
« Voyez-vous, nous sommes
conscients de la montée en puissance de votre notoriété ainsi que de celle de
votre parti. Lorsque votre père a créé le Front National en 1973…
-
« 1972, Monsieur le
Président ! », coupa Nicolas Sarkozy, « 5 octobre 1972. Il faut
qu’elles soient précises, les dates qu’on dit ». François Hollande fit une
moue d’un air de dire, bon, bon, on ne va pas chipoter, et continua.
-
« Lorsque votre père a créé le
Front National en 1972, l’ensemble de la classe politique n’a prêté qu’une
attention restreinte à ses…euh… modestes scores électoraux. Il s’agissait, pour
la plupart, d’un rassemblement de nostalgiques dispersés dans la nébuleuse de
la droite nationale et de l’extrême droite. Même si nous n’avons jamais adhérer
aux idées de ce parti, force est de…euh…reconnaître le talent d’orateur,…euh…de
tribun dont a fait preuve votre père. Nous pouvons même dire qu’à une certaine
époque, des personnes…comment dire…honorables et compétentes en ont fait partie,
et ces personnes ont sans doute contribué à sa lente montée. Mais…euh…cela dit,
vous savez que je…enfin…nous considérons que la ligne de votre parti ne répond
pas exactement aux critères que nous avons définis. »
Tout en disant ces derniers mots, François
Hollande cherchait du regard l’approbation de Sarkozy et de Cambadélis. Les
deux opinaient du chef, ensemble, à la manière de ces faux chiens allongés sur
la plage arrière de certaines voitures distinguées.
Tout compte fait, plutôt qu’à Al
Capone, c’est à Benito Mussolini que Cambadélis faisait penser : pas
seulement sur le plan politique puisqu’ils sont tous deux issus du socialisme
(certes dévoyé pour le premier, inconnu encore pour le second…) mais aussi par
sa stature et sa corpulence. Il ne lui manquait plus que le bonnet noir orné de
l’aigle d’or conquérant et de la plume d’autruche, la culotte de cheval et les
bottes pour faire une parfaite doublure de cinéma. On pouvait lui souhaiter une
seule chose : une fin moins tragique que celle du Duce !
-
« Les critères que nous avons
définis… Qu’entendez-vous par nous? »
interrogea
Marine Le Pen qui se demandait
vraiment dans quel traquenard elle était tombée.
-
« Nous ?...et bien,
nous ! » rétorqua François Hollande en faisant un geste large en
direction de Sakorzy et de Cambadélis, « disons… la classe politique
dirigeante, si vous voulez. »
-
« Ah ! et…de quelles
critères voulez-vous parler, Monsieur le Président ? »,
continua-t-elle.
-
« Mais, des critères
démocratiques, laïques et républicains, tout simplement ! »
-
« Alors, qu’attendez-vous de
moi ? »
-
« Vous voulez savoir ce qu’on
attend d’ vous ? M’sieur Hollande va vous l’dire », se permit Nicolas
Sarkozy de son ton mi-pote-mi-ado tout en tirant sur ses poignets mousquetaire.
-
« Oui, oui, bien
sûr…mais…euh…auparavant, je voudrais revenir sur les raisons impérieuses de
notre…euh…proposition. Tout d’abord, il est clair que nous ne pouvons plus
négliger l’importance des scores électoraux de votre parti, à quelque niveau de
consultation que ce soit ; il s’agit là d’un point qui nous préoccupe au
plus haut degré et qui préoccupe également l’ensemble de la classe politique.
Nous essayons bien sûr de minimiser cette ampleur par un certain nombre de manœuvres,
d’actions, de mises en garde avec l’aide de certains groupes de pression, de
media, de penseurs,…
-
« D’associations ! »
crut bon de préciser Marine Le Pen en l’interrompant.
-
« Oui…euh…enfin, si vous voulez…mais,
force est de constater que vos performances ont atteint un niveau suffisamment
conséquents pour que nous envisagions une redistribution des cartes
démocratiques en y incluant votre parti… »
François Hollande s’arrêta comme pour reprendre son souffle car il
avait dit cette dernière phrase d’une seule traite, contrairement à son
habitude d’énumérer des périphrases parsemées d’onomatopées. Un silence lourd
s’ensuivit. Sarkozy et Cambadélis
regardaient leurs pieds. Quant à François Hollande, il compulsait ses
notes de manière compulsive tout en jetant alternativement des coups d’œil
furtifs à ses visiteurs, en quête d’une quelconque approbation de leur part.
Rien ne venait, aussi, il reprit :
-
« Euh…cependant, pour parvenir à
un accord de ce genre, il faut préalablement supprimer un obstacle
majeur ». Il s’arrêta un laps, puis, «Vous voyez ce que je veux
dire ?... »
-
« Ma foi, non, je ne vois pas ce
que vous voulez dire, Monsieur le Président », dit Marine Le Pen, de plus
en plus intriguée, « Soyez clair ! »
Constatant l’embarras de son chef
charismatique, Cambadélis, qui n’avait rien dit jusqu’à présent, se redressa
sur son siège, remonta ses chaussettes bleu-nuit, se racla la gorge pour
éclaircir sa voix et déclara à François Hollande d’abord :
-
« Si tu me permets, François. »
Puis, à Marine Le Pen :
-
« L’obstacle majeur dont parle le
Président…c’est votre père ! »
-
« Mon père ? Mais en quoi
mon père constitue-t-il ce que vous appelez un obstacle majeur ? J’avoue ne pas bien comprendre ce que vous
insinuez, » dit-elle un peu à la cantonade.
Sarkozy prit le relais.
-
« Oui, la présence d’vot’ père
dans l’parti en tant que président d’honneur, c’est vraiment un problème, du
moins pour arriver à l’arrangement que, nous, on vous propose. Pour être plus
précis, on aimerait que vous vous arrangiez pour que vot’père, il ne soit plus
président d’honneur du Front National, ni président tout court, ni simple
membre, vous comprenez ? »
Interloquée, Marine Le Pen s’apprêtait
à réagir lorsque François Hollande reprit, doucereusement :
-
« Oui, vous comprenez !
D’abord, il a 87 ans et puis, il représente toute la frange antirépublicaine de
votre parti, ce pan de pensée politique
qu’il nous est impossible d’intégrer dans le circuit de bonne conduite
démocratique, avec ses sorties médiatiques choquantes, ses calembours douteux,
ses dérapages sémantiques et son mépris ouvert des règles républicaines
élémentaires, non, il doit totalement et définitivement disparaître du paysage
politique français et européen et c’est à cette condition, - et seulement à
cette condition – que votre parti pourra
bénéficier d’une bienveillance…euh…acceptable à l’égard de la classe politique
autorisée. »
-
« Écoutez, monsieur le
Président, » commença-t-elle après un temps, « j’avoue être très
surprise et choquée par ce que vous venez de m’exposer. Surprise parce que les
griefs que vous faites à mon père ne sont pas justifiés et je pense, au
contraire, qu’il a plutôt toujours fait preuve de courage, de patience et
d’opiniâtreté, même si, parfois, il peut manquer quelque peu de diplomatie. Choquée car, malgré ses 87 ans, il a été – et
reste – le fondateur de ce parti qui lui doit tout. Comme moi d’ailleurs. C’est
lui qui m’a appris à analyser l’actualité politique et j’ai toujours apprécié
sa clairvoyance et son pragmatisme. Je dois avouer qu’à maintes reprises, ses
prédictions sur le développement de certaines choses ou certains évènements se
sont avérées. Grâce à sa grande culture, j’ai beaucoup appris avec lui,
voyez-vous, Monsieur le Président ? J’ai passé des heures et des heures
dans son bureau, assise en face de lui, à l’écouter faire des commentaires,
analyser, argumenter, réfléchir tout haut à propos d’une affaire ou d’un
personnage dont il faisait l’exégèse claire et précise. Rien ne manquait.
Parfois, il se levait pour aller chercher un livre dans les rayons de sa
bibliothèque pour régler un détail, préciser une date, confirmer un nom ou
encore rechercher une citation. Du coup, assez souvent, cette petite manœuvre
l’emmenait dans des digressions sinueuses dont je ne voyais pas tout de suite
le rapport mais qui, en fin de compte, s’imbriquaient de façon logique. Vous
savez que mon père est avant tout un avocat, n’est-ce pas ? »
-
« Oui, oui, nous le
savons… » acquiesça François Hollande.
-
« N’est-ce pas son talent
d’orateur et la richesse de ses discours qui gênent une grande partie de la
classe politique, une sorte de jalousie… ? »
-
« Non, non, pas du tout… »
éluda François Hollande en rougissant un peu.
-
« En somme, vous me demandez de
poignarder mon père…Un remake du Tu
quoque mi fili ?»,
-
« Du coquet quoi ?…, interrogea Cambadélis, ignare.
-
« Oui, ce que dit César à son
fils Brutus lorsqu’il s’apprêtait à le tuer, » précisa Marine Le Pen en levant
les yeux au ciel. Le plafond était richement décoré de corniches moulurées avec
denticules et modillons bicolores, rosace historiée qu’ombrageaient les nombreuses ampoules du lustre doré
monumental. « Confiture aux cochons, »
pensa-t-elle.
-
« Non, non… », crut bon de
reprendre François Hollande, « il ne faut pas exagérer. Ce que l’on vous
demande, c’est plutôt de le…neutraliser et c’est vous qui choisirez la méthode
et les moyens d’y parvenir, voilà tout ! »
Dans le grand bureau feutré, s’établit un silence long et pesant
que Marine Le Pen finit par briser.
-
« Et…si je refuse… ? »
-
« Si vous refusez, et bien, nous
en resterons là, » précisa François Hollande, « mais ce serait
dommage car nous pensons que vous avez tout intérêt à… ».
-
« J’ai besoin de réfléchir »,
coupa-t-elle, « Combien de temps me laissez-vous ? »
Entre temps, il s’était levé pour passer de l’autre côté de son
bureau.
-
« Jusqu’à demain…demain soir.
Vous n’aurez qu’à m’appeler à ce numéro, » lui dit-il en lui tendant une
carte. « Bien, l’entretien est terminé ; merci messieurs. Madame…
à demain, au téléphone. »
Marine Le Pen se leva, serra la main que François Hollande lui
tendait, fit un vague salut de la tête en direction des deux autres visiteurs,
puis sortit par la grande porte qui s’était ouverte comme par enchantement avant
de se refermer d’un claquement sourd mais accompagné d’un léger couinement : « Le
pêne a besoin d’un peu d’huile… », pensa l’huissier, attentif et méticuleux.
A suivre….