dimanche 15 novembre 2015

Petite polifiction (Acte 3)



Les Nouveaux Aristocrades

Petite poli-fiction
(Acte 3)

Lundi 24 novembre 2014
-          « Un marché ? » ne put s’empêcher d’interroger Marine Le Pen dont le taux de
perplexité ne cessait de croître minute après minute.
Dans son fauteuil doré recouvert d’un tissu damassé rouge bordeaux, Nicolas Sarkozy, le cou disparaissant dans un col amidonné trop grand, allongeait régulièrement les bras vers l’avant en pinçant du bout des doigts ses poignets mousquetaire afin de faire apparaître des boutons de manchettes vert jade, puis resserrait son nœud de cravate triangulaire et trop gros. Il regardait Marine Le Pen avec des yeux de chèvre morte, un léger sourire mièvre aux coins des lèvres.
Quant à Jean-Christophe Cambadélis, gominé à bloc et visage rond et rougeaud, il faisait penser à Al Capone , « Scarface »  sans balafre,  ou à un quelconque chicagolais mafieux qu’on pourrait très bien rencontrer dans l’arrière-salle d’un tripot de la Windy City , assis autour d’une table à jeu en compagnie de rastaquouères à mines patibulaires, havane au bec, fausses cartes dans les manches et revolver en poche.
-          « Oui, un marché…enfin, non, pas exactement…plutôt une sorte d’arrangement que je vais…euh…que nous allons vous proposer. »
Il rassembla devant lui quelques feuilles de papier manuscrites, les parcourut un instant, puis reprit.
-          « Voyez-vous, nous sommes conscients de la montée en puissance de votre notoriété ainsi que de celle de votre parti. Lorsque votre père a créé le Front National en 1973…
-          « 1972, Monsieur le Président ! », coupa Nicolas Sarkozy, « 5 octobre 1972. Il faut qu’elles soient précises, les dates qu’on dit ». François Hollande fit une moue d’un air de dire, bon, bon, on ne va pas chipoter, et continua.
-          « Lorsque votre père a créé le Front National en 1972, l’ensemble de la classe politique n’a prêté qu’une attention restreinte à ses…euh… modestes scores électoraux. Il s’agissait, pour la plupart, d’un rassemblement de nostalgiques dispersés dans la nébuleuse de la droite nationale et de l’extrême droite. Même si nous n’avons jamais adhérer aux idées de ce parti, force est de…euh…reconnaître le talent d’orateur,…euh…de tribun dont a fait preuve votre père. Nous pouvons même dire qu’à une certaine époque, des personnes…comment dire…honorables et compétentes en ont fait partie, et ces personnes ont sans doute contribué à sa lente montée. Mais…euh…cela dit, vous savez que je…enfin…nous considérons que la ligne de votre parti ne répond pas exactement aux critères que nous avons définis. »
Tout en disant ces derniers mots, François Hollande cherchait du regard l’approbation de Sarkozy et de Cambadélis. Les deux opinaient du chef, ensemble, à la manière de ces faux chiens allongés sur la plage arrière de certaines voitures distinguées.
Tout compte fait, plutôt qu’à Al Capone, c’est à Benito Mussolini que Cambadélis faisait penser : pas seulement sur le plan politique puisqu’ils sont tous deux issus du socialisme (certes dévoyé pour le premier, inconnu encore pour le second…) mais aussi par sa stature et sa corpulence. Il ne lui manquait plus que le bonnet noir orné de l’aigle d’or conquérant et de la plume d’autruche, la culotte de cheval et les bottes pour faire une parfaite doublure de cinéma. On pouvait lui souhaiter une seule chose : une fin moins tragique que celle du Duce !
-          « Les critères que nous avons définis… Qu’entendez-vous par nous? » interrogea
Marine Le Pen qui se demandait vraiment dans quel traquenard elle était tombée.
-          « Nous ?...et bien, nous ! » rétorqua François Hollande en faisant un geste large en direction de Sakorzy et de Cambadélis, « disons… la classe politique dirigeante, si vous voulez. »
-          « Ah ! et…de quelles critères voulez-vous parler, Monsieur le Président ? », continua-t-elle.
-          « Mais, des critères démocratiques, laïques et républicains, tout simplement ! »
-          « Alors, qu’attendez-vous de moi ? »
-          « Vous voulez savoir ce qu’on attend d’ vous ? M’sieur Hollande va vous l’dire », se permit Nicolas Sarkozy de son ton mi-pote-mi-ado tout en tirant sur ses poignets mousquetaire.
-          « Oui, oui, bien sûr…mais…euh…auparavant, je voudrais revenir sur les raisons impérieuses de notre…euh…proposition. Tout d’abord, il est clair que nous ne pouvons plus négliger l’importance des scores électoraux de votre parti, à quelque niveau de consultation que ce soit ; il s’agit là d’un point qui nous préoccupe au plus haut degré et qui préoccupe également l’ensemble de la classe politique. Nous essayons bien sûr de minimiser cette ampleur par un certain nombre de manœuvres, d’actions, de mises en garde avec l’aide de certains groupes de pression, de media, de penseurs,…
-          « D’associations ! » crut bon de préciser Marine Le Pen en l’interrompant.
-          « Oui…euh…enfin, si vous voulez…mais, force est de constater que vos performances ont atteint un niveau suffisamment conséquents pour que nous envisagions une redistribution des cartes démocratiques en y incluant votre parti… »
François Hollande s’arrêta comme pour reprendre son souffle car il avait dit cette dernière phrase d’une seule traite, contrairement à son habitude d’énumérer des périphrases parsemées d’onomatopées. Un silence lourd s’ensuivit. Sarkozy et Cambadélis  regardaient leurs pieds. Quant à François Hollande, il compulsait ses notes de manière compulsive tout en jetant alternativement des coups d’œil furtifs à ses visiteurs, en quête d’une quelconque approbation de leur part. Rien ne venait, aussi, il reprit :
-          « Euh…cependant, pour parvenir à un accord de ce genre, il faut préalablement supprimer un obstacle majeur ». Il s’arrêta un laps, puis, «Vous voyez ce que je veux dire ?... »
-          « Ma foi, non, je ne vois pas ce que vous voulez dire, Monsieur le Président », dit Marine Le Pen, de plus en plus intriguée, « Soyez clair ! »
Constatant l’embarras de son chef charismatique, Cambadélis, qui n’avait rien dit jusqu’à présent, se redressa sur son siège, remonta ses chaussettes bleu-nuit, se racla la gorge pour éclaircir sa voix et déclara à François Hollande d’abord :
-          « Si tu me permets, François. » Puis, à Marine Le Pen :
-          « L’obstacle majeur dont parle le Président…c’est votre père ! »
-          « Mon père ? Mais en quoi mon père constitue-t-il ce que vous appelez un obstacle majeur ? J’avoue ne pas bien comprendre ce que vous insinuez, » dit-elle un peu à la cantonade.
Sarkozy prit le relais.
-          « Oui, la présence d’vot’ père dans l’parti en tant que président d’honneur, c’est vraiment un problème, du moins pour arriver à l’arrangement que, nous, on vous propose. Pour être plus précis, on aimerait que vous vous arrangiez pour que vot’père, il ne soit plus président d’honneur du Front National, ni président tout court, ni simple membre, vous comprenez ? »
Interloquée, Marine Le Pen s’apprêtait à réagir lorsque François Hollande reprit, doucereusement :
-          « Oui, vous comprenez ! D’abord, il a 87 ans et puis, il représente toute la frange antirépublicaine de  votre parti, ce pan de pensée politique qu’il nous est impossible d’intégrer dans le circuit de bonne conduite démocratique, avec ses sorties médiatiques choquantes, ses calembours douteux, ses dérapages sémantiques et son mépris ouvert des règles républicaines élémentaires, non, il doit totalement et définitivement disparaître du paysage politique français et européen et c’est à cette condition, - et seulement à cette condition – que votre parti  pourra bénéficier d’une bienveillance…euh…acceptable à l’égard de la classe politique autorisée. »
-          « Écoutez, monsieur le Président, » commença-t-elle après un temps, « j’avoue être très surprise et choquée par ce que vous venez de m’exposer. Surprise parce que les griefs que vous faites à mon père ne sont pas justifiés et je pense, au contraire, qu’il a plutôt toujours fait preuve de courage, de patience et d’opiniâtreté, même si, parfois, il peut manquer quelque peu de diplomatie.  Choquée car, malgré ses 87 ans, il a été – et reste – le fondateur de ce parti qui lui doit tout. Comme moi d’ailleurs. C’est lui qui m’a appris à analyser l’actualité politique et j’ai toujours apprécié sa clairvoyance et son pragmatisme. Je dois avouer qu’à maintes reprises, ses prédictions sur le développement de certaines choses ou certains évènements se sont avérées. Grâce à sa grande culture, j’ai beaucoup appris avec lui, voyez-vous, Monsieur le Président ? J’ai passé des heures et des heures dans son bureau, assise en face de lui, à l’écouter faire des commentaires, analyser, argumenter, réfléchir tout haut à propos d’une affaire ou d’un personnage dont il faisait l’exégèse claire et précise. Rien ne manquait. Parfois, il se levait pour aller chercher un livre dans les rayons de sa bibliothèque pour régler un détail, préciser une date, confirmer un nom ou encore rechercher une citation. Du coup, assez souvent, cette petite manœuvre l’emmenait dans des digressions sinueuses dont je ne voyais pas tout de suite le rapport mais qui, en fin de compte, s’imbriquaient de façon logique. Vous savez que mon père est avant tout un avocat, n’est-ce pas ? »
-          « Oui, oui, nous le savons… » acquiesça François Hollande.
-          « N’est-ce pas son talent d’orateur et la richesse de ses discours qui gênent une grande partie de la classe politique, une sorte de jalousie… ? »
-          « Non, non, pas du tout… » éluda François Hollande en rougissant un peu.
-          « En somme, vous me demandez de poignarder mon père…Un remake du Tu quoque mi fili ?»,
-          « Du coquet quoi ?…, interrogea Cambadélis, ignare.
-          « Oui, ce que dit César à son fils Brutus lorsqu’il s’apprêtait à le tuer, » précisa Marine Le Pen en levant les yeux au ciel. Le plafond était richement décoré de corniches moulurées avec denticules et modillons bicolores, rosace historiée qu’ombrageaient  les nombreuses ampoules du lustre doré monumental. « Confiture aux cochons, » pensa-t-elle.
-          « Non, non… », crut bon de reprendre François Hollande, « il ne faut pas exagérer. Ce que l’on vous demande, c’est plutôt de le…neutraliser et c’est vous qui choisirez la méthode et les moyens d’y parvenir, voilà tout ! »
Dans le grand bureau feutré, s’établit un silence long et pesant que Marine Le Pen finit par briser.
-          « Et…si je refuse… ? »
-          « Si vous refusez, et bien, nous en resterons là, » précisa François Hollande, « mais ce serait dommage car nous pensons que vous avez tout intérêt à… ».
-          « J’ai besoin de réfléchir », coupa-t-elle, « Combien de temps me laissez-vous ? »
Entre temps, il s’était levé pour passer de l’autre côté de son bureau.
-          « Jusqu’à demain…demain soir. Vous n’aurez qu’à m’appeler à ce numéro, » lui dit-il en lui tendant une carte. « Bien, l’entretien est terminé ; merci messieurs. Madame… à demain, au téléphone. »
Marine Le Pen se leva, serra la main que François Hollande lui tendait, fit un vague salut de la tête en direction des deux autres visiteurs, puis sortit par la grande porte qui s’était ouverte comme par enchantement avant de se refermer d’un claquement sourd mais accompagné d’un léger couinement : « Le pêne a besoin d’un peu d’huile… », pensa l’huissier, attentif et méticuleux.




A suivre….

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