vendredi 25 septembre 2015

Petite poli-fiction (Acte 2)



Les Nouveaux Aristocrades

Petite poli-fiction
(Acte 2)

Lundi 24 novembre 2014
Ce matin-là, après une nuit de sommeil agité, Marine Le Pen fut réveillée vers 7h00 par un fracas puissant venu du dehors. Elle bondit hors de son lit et regarda dans la rue au travers des lames des persiennes mais il ne s’agissait que de l’accrochage d’une voiture avec le véhicule des éboueurs dont le gyrophare jaune tournait, éclairant à intervalles réguliers des personnes attroupées mais dont on ne distinguait pas les visages car ils étaient tous noirs…
Elle aurait aimé se recoucher pour dormir encore un peu mais elle était beaucoup trop excitée à l’idée de son rendez-vous de 11h00 avec François Hollande si bien qu’elle décida d’aller plutôt prendre un bon bain ainsi qu’un petit déjeuner roboratif….

A 7h30, rue Cauchy, François Hollande ouvrait un œil. Machinalement, il allongea sa jambe  pour vérifier s’il était seul dans le lit. Non, il y avait du monde dans les draps, ce qui lui permit de se recroqueviller dans la position du fœtus et de grogner :
-          « T’as des croissants, ce matin ?… ! »
La réponse revint comme un boomerang :
-          « Et puis quoi encore ?...avec un p’tit noir ?...c’est pas le Sofitel, ici… ! »
Silence. Au bout de quelques minutes, ne voyant rien venir, le président se leva, chaussa ses lunettes et, cheveux ébouriffés, se dirigea vers la salle de bains en teeshirt et caleçon…
Un quart d’heure plus tard, il passa son blouson, prit ses clés sur le guéridon de l’entrée, puis son casque et ses gants. Il descendit furtivement par l’escalier de service donnant sur la cour de l’immeuble, puis mit en route son scooter pour sortir par le porche. Dans la rue brumeuse, ce cavalier gris dont la silhouette faisait penser à un livreur de pizzas s’éloigna en pétaradant.

A 10h10 précises, le téléphone portable de Marine Le Pen vibra annonçant l’arrivée d’un message : « Bonjour. A 10h40, une Renault Mégane grise, immatriculée CD 666 BZ, vous attendra sur le bateau en bas de chez vous. Merci. (Ne pas répondre à ce message) ».
Elle se leva machinalement pour se préparer mais se rassit aussitôt en réalisant qu’elle avait encore trente minutes à attendre… Alors, elle se pencha vers la table basse du salon et saisit le livre qui s’y trouvait : « Le Bruit et la Fureur », de William Faulkner qu’elle s’était juré de lire jusqu’au bout en essayant de faire un parallèle entre sa vision de la métamorphose programmée de la France - une manière de dégénérescence contrôlée - et le sentiment d’aliénation des Américains du Sud, marqués par la Guerre de Sécession. Les enjeux étaient bien différents, bien entendu, mais le mécanisme social, économique et politique, à son avis, était le même ; c’est sous cet angle que l’ouvrage l’intéressait. Elle lut quelques pages, mais ne put se concentrer correctement en raison de la complexité du roman et de l’heure qui l’obnubilait.
A 10h35, elle sortit et alla attendre derrière la porte cochère de l’immeuble. Cinq minutes plus tard, elle entendit une voiture se garer sur le bateau. En entrouvrant la porte, elle put reconnaître la Mégane grise et le numéro de la plaque minéralogique annoncés. A Paris, tous les chauffeurs sont noirs en costume gris ; celui-ci était gris mais en costume noir. Il était sorti de la voiture et en avait fait le tour pour aller ouvrir la portière arrière - après un vague : « B’jour, m’dame » -  et  par laquelle Marine Le Pen s’engouffra, disparaissant derrière les vitres teintées.
A 10h50, la voiture passait la majestueuse grille historiée  du 55 rue du Faubourg Saint-Honoré et alla se garer au bas d’un petit escalier situé au fond de la cour, à droite du perron d’honneur. Un voiturier dévala les marches pour venir ouvrir la portière : il était noir en costume gris. Il invita Marine Le Pen à rejoindre l’entrée sur le seuil de laquelle un huissier en tenue l’attendait.  Elle se tourna un moment vers le perron d’honneur dont les piliers latéraux, flanqués de deux gardes républicains, furent, à cet instant, allumés par un rayon de soleil éphémère et pâle se reflétant dans les carreaux d’une fenêtre de l’aile gauche. C’était la première fois qu’elle descendait d’une voiture « officielle » dans cette cour : ça lui fit quelque chose et son cœur se mit à battre plus vite et plus fort…!
L’huissier la pria de la suivre. Ils empruntèrent un premier long couloir bordé de fenêtres donnant sur la cour, puis, au bout, ils prirent un escalier en bois assez étroit dans lequel ils croisèrent une femme en tailleur gris qui descendait en crabe avec un gros dossier sous le bras.
Puis, ils arpentèrent le même couloir du premier étage mais dans le sens inverse. L’huissier se retourna comme pour s’assurer que sa visiteuse le suivait bien. Celle-ci lui lança un :
-          « J’ai l’impression que vous devez en faire des kilomètres dans une journée…! »
-          « Pas mal, oui…ça fait faire de l’exercice. Voilà, on arrive ! Si vous voulez bien attendre ici quelques instants…» dit-il en ouvrant une double-porte et disparut.
Marine Le Pen, en attendant, s’approcha de la dernière fenêtre donnant sur la cour et, au même instant, une voiture noire roulait en direction du perron d’honneur puis s’immobilisa parallèlement à l’escalier pendant plusieurs minutes sans que personne n’en descendît. Elle jeta un regard en direction de la double-porte derrière laquelle l’huissier avait disparu : toujours rien. Dans la cour, la portière avant s’ouvrit et un homme noir en costume gris (« Encore ! » pensa-t-elle) en sortit pour aller ouvrir la portière arrière. Elle fut surprise de voir surgir Nicolas Sarkozy, téléphone portable à l’oreille et accompagnant sa discussion de gestes emphatiques. Il monta lentement les marches, passa devant les gardes républicains qui le saluèrent en rectifiant la position et s’engouffra par la grande porte.
-          « C’est curieux… » pensa-t-elle, « Qu’est-ce qu’il vient faire ici ? ».
A ce moment, l’huissier fantôme réapparut dans le couloir pour lui dire :
-          « Le Président a pris un peu de retard dans son rendez-vous. Il vous prie de l’excuser ; il en a encore pour quelques minutes. En attendant, si vous voulez bien venir vous asseoir dans l’antichambre… »
Elle suivit donc l’huissier qui lui montra une petite banquette Louis XVI  à tissu de velours rouge clouté.
-          « Je reviendrai vous chercher. Merci », lui dit-il avant de se retirer à pas feutrés.
Marine Le Pen déboutonna son imperméable et enleva son foulard, puis se leva pour aller se regarder dans un petit miroir doré. Elle en profita pour se donner un coup de peigne et un peu de rouge à lèvre alors qu’elle entendait un vague bruit sourd de voix et de pas venant de l’autre côté. Elle alla se rasseoir sur la banquette, croisa les jambes et attendit dans le silence… Quand, quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit pour laisser apparaitre la face débonnaire de l’huissier, elle était plongée en conjectures à propos de cette entrevue et eut même un moment la velléité de quitter l’antichambre et de s’enfuir.
-          « Le Président va vous recevoir ; si vous voulez bien entrer… » dit-il obséquieusement en s’effaçant.
François Hollande, à l’entrée de Marine Le Pen, se leva de derrière son bureau et s’avança vers elle en lui tendant la main.
-          « Bonjour Madame, excusez-moi de vous avoir fait patienter…Je vous en prie. » lui dit-il tout en lui montrant l’un des fauteuils de visiteurs.
-          « Bonjour Monsieur le Président, ce n’est pas grave…j’ai une certaine habitude des antichambres », crut-elle bon d’ajouter d’un ton légèrement sarcastique qu’elle édulcora d’un large sourire. François Hollande ne releva pas la nuance et s’assit dans l’un des autres fauteuils, en face d’elle.
-          « Bien, » débuta-t-il après un temps, « tout d’abord…comme je vous l’avais demandé,
J’espère que vous n’avez parlé à personne de notre entrevue… ? »
-          « Non…euh, si, j’en ai parlé à mon chien… mais en rêve ! »
François Hollande rit, ou plutôt, eut un rire forcé puis, se reprenant :
-          « Bon, avant toute chose, j’ai voulu que deux autres personnes assistent à notre entretien…vous permettez ? » Il se leva et alla appuyer sur le bouton de l’interphone de son bureau. « Veuillez faire entrer ces messieurs, s’il vous plait. »
Par la porte ouverte par l’huissier, entra d’abord Nicolas Sarkozy – préséance oblige - suivi de Jean-Christophe Cambadélis qui avancèrent pour saluer François Hollande. Celui-ci, se tournant vers Marine Le Pen, leur adressa :
-          « Je n’ai pas besoin de vous présenter… »
Elle était, à vrai dire, comme subjuguée par leur arrivée impromptue et commençait à se demander  dans quel traquenard elle était tombée.
Il y eut un échange de tir fourni de : « Monsieur le Président… », « Monsieur le Président… », « Monsieur le Président… ». Puis, François Hollande retourna s’asseoir derrière son bureau, invitant ses visiteurs à faire de même.  Considérant le désarroi de la seule femme de ce quatuor, il prit le temps d’enlever ses lunettes, de les examiner à la lumière et de les nettoyer avec le bout de sa cravate. Tout en faisant cela, il s’adressa à Marine Le Pen :
-          « Madame…euh…si je vous ai demandé de venir aujourd’hui…c’est…euh…c’est pour vous proposer un marché… !


A suivre….

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