Les
Nouveaux Aristocrades
Petite poli-fiction
(Acte 2)
Lundi
24 novembre 2014
Ce matin-là, après une nuit de sommeil
agité, Marine Le Pen fut réveillée vers 7h00 par un fracas puissant venu du
dehors. Elle bondit hors de son lit et regarda dans la rue au travers des lames
des persiennes mais il ne s’agissait que de l’accrochage d’une voiture avec le
véhicule des éboueurs dont le gyrophare jaune tournait, éclairant à intervalles
réguliers des personnes attroupées mais dont on ne distinguait pas les visages car
ils étaient tous noirs…
Elle aurait aimé se recoucher pour
dormir encore un peu mais elle était beaucoup trop excitée à l’idée de son
rendez-vous de 11h00 avec François Hollande si bien qu’elle décida d’aller
plutôt prendre un bon bain ainsi qu’un petit déjeuner roboratif….
A 7h30, rue Cauchy, François Hollande
ouvrait un œil. Machinalement, il allongea sa jambe pour vérifier s’il était seul dans le lit.
Non, il y avait du monde dans les draps, ce qui lui permit de se recroqueviller
dans la position du fœtus et de grogner :
-
« T’as des croissants, ce
matin ?… ! »
La réponse revint comme un
boomerang :
-
« Et puis quoi
encore ?...avec un p’tit noir ?...c’est
pas le Sofitel, ici… ! »
Silence. Au bout de quelques minutes,
ne voyant rien venir, le président se leva, chaussa ses lunettes et, cheveux
ébouriffés, se dirigea vers la salle de bains en teeshirt et caleçon…
Un quart d’heure plus tard, il passa
son blouson, prit ses clés sur le guéridon de l’entrée, puis son casque et ses
gants. Il descendit furtivement par l’escalier de service donnant sur la cour
de l’immeuble, puis mit en route son scooter pour sortir par le porche. Dans la
rue brumeuse, ce cavalier gris dont la silhouette faisait penser à un livreur
de pizzas s’éloigna en pétaradant.
A 10h10 précises, le téléphone
portable de Marine Le Pen vibra annonçant l’arrivée d’un
message : « Bonjour. A
10h40, une Renault Mégane grise, immatriculée CD 666 BZ, vous attendra sur le
bateau en bas de chez vous. Merci. (Ne pas répondre à ce message) ».
Elle se leva machinalement pour se
préparer mais se rassit aussitôt en réalisant qu’elle avait encore trente
minutes à attendre… Alors, elle se pencha vers la table basse du salon et
saisit le livre qui s’y trouvait : « Le Bruit et la Fureur », de William Faulkner qu’elle s’était
juré de lire jusqu’au bout en essayant de faire un parallèle entre sa vision de
la métamorphose programmée de la France - une manière de dégénérescence
contrôlée - et le sentiment d’aliénation des Américains du Sud, marqués par la
Guerre de Sécession. Les enjeux étaient bien différents, bien entendu, mais le
mécanisme social, économique et politique, à son avis, était le même ;
c’est sous cet angle que l’ouvrage l’intéressait. Elle lut quelques pages, mais
ne put se concentrer correctement en raison de la complexité du roman et de
l’heure qui l’obnubilait.
A 10h35, elle sortit et alla attendre
derrière la porte cochère de l’immeuble. Cinq minutes plus tard, elle entendit
une voiture se garer sur le bateau. En entrouvrant la porte, elle put
reconnaître la Mégane grise et le numéro de la plaque minéralogique annoncés. A
Paris, tous les chauffeurs sont noirs en costume gris ; celui-ci était gris
mais en costume noir. Il était sorti de la voiture et en avait fait le tour
pour aller ouvrir la portière arrière - après un vague : « B’jour,
m’dame » - et par laquelle Marine Le Pen s’engouffra,
disparaissant derrière les vitres teintées.
A 10h50, la voiture passait la majestueuse
grille historiée du 55 rue du Faubourg
Saint-Honoré et alla se garer au bas d’un petit escalier situé au fond de la
cour, à droite du perron d’honneur. Un voiturier dévala les marches pour venir
ouvrir la portière : il était noir en costume gris. Il invita Marine Le
Pen à rejoindre l’entrée sur le seuil de laquelle un huissier en tenue
l’attendait. Elle se tourna un moment
vers le perron d’honneur dont les piliers latéraux, flanqués de deux gardes
républicains, furent, à cet instant, allumés par un rayon de soleil éphémère et
pâle se reflétant dans les carreaux d’une fenêtre de l’aile gauche. C’était la
première fois qu’elle descendait d’une voiture « officielle » dans cette cour : ça lui fit quelque chose
et son cœur se mit à battre plus vite et plus fort…!
L’huissier la pria de la suivre. Ils
empruntèrent un premier long couloir bordé de fenêtres donnant sur la cour,
puis, au bout, ils prirent un escalier en bois assez étroit dans lequel ils
croisèrent une femme en tailleur gris qui descendait en crabe avec un gros
dossier sous le bras.
Puis, ils arpentèrent le même couloir du
premier étage mais dans le sens inverse. L’huissier se retourna comme pour
s’assurer que sa visiteuse le suivait bien. Celle-ci lui lança un :
-
« J’ai l’impression que vous
devez en faire des kilomètres dans une journée…! »
-
« Pas mal, oui…ça fait faire de
l’exercice. Voilà, on arrive ! Si vous voulez bien attendre ici
quelques instants…» dit-il en ouvrant une double-porte et disparut.
Marine Le Pen, en attendant,
s’approcha de la dernière fenêtre donnant sur la cour et, au même instant, une
voiture noire roulait en direction du perron d’honneur puis s’immobilisa parallèlement
à l’escalier pendant plusieurs minutes sans que personne n’en descendît. Elle
jeta un regard en direction de la double-porte derrière laquelle l’huissier
avait disparu : toujours rien. Dans la cour, la portière avant s’ouvrit et
un homme noir en costume gris (« Encore ! » pensa-t-elle) en
sortit pour aller ouvrir la portière arrière. Elle fut surprise de voir surgir
Nicolas Sarkozy, téléphone portable à l’oreille et accompagnant sa discussion
de gestes emphatiques. Il monta lentement les marches, passa devant les gardes
républicains qui le saluèrent en rectifiant la position et s’engouffra par la
grande porte.
-
« C’est curieux… »
pensa-t-elle, « Qu’est-ce qu’il vient faire ici ? ».
A ce moment, l’huissier fantôme
réapparut dans le couloir pour lui dire :
-
« Le Président a pris un peu de
retard dans son rendez-vous. Il vous prie de l’excuser ; il en a encore
pour quelques minutes. En attendant, si vous voulez bien venir vous asseoir
dans l’antichambre… »
Elle suivit donc l’huissier qui lui
montra une petite banquette Louis XVI à
tissu de velours rouge clouté.
-
« Je reviendrai vous chercher.
Merci », lui dit-il avant de se retirer à pas feutrés.
Marine Le Pen déboutonna son
imperméable et enleva son foulard, puis se leva pour aller se regarder dans un
petit miroir doré. Elle en profita pour se donner un coup de peigne et un peu
de rouge à lèvre alors qu’elle entendait un vague bruit sourd de voix et de pas
venant de l’autre côté. Elle alla se rasseoir sur la banquette, croisa les
jambes et attendit dans le silence… Quand, quelques minutes plus tard, la porte
s’ouvrit pour laisser apparaitre la face débonnaire de l’huissier, elle était
plongée en conjectures à propos de cette entrevue et eut même un moment la
velléité de quitter l’antichambre et de s’enfuir.
-
« Le Président va vous
recevoir ; si vous voulez bien entrer… » dit-il obséquieusement en s’effaçant.
François Hollande, à l’entrée de
Marine Le Pen, se leva de derrière son bureau et s’avança vers elle en lui
tendant la main.
-
« Bonjour Madame, excusez-moi de
vous avoir fait patienter…Je vous en prie. » lui dit-il tout en lui
montrant l’un des fauteuils de visiteurs.
-
« Bonjour Monsieur le Président,
ce n’est pas grave…j’ai une certaine habitude des antichambres »,
crut-elle bon d’ajouter d’un ton légèrement sarcastique qu’elle édulcora d’un
large sourire. François Hollande ne releva pas la nuance et s’assit dans l’un
des autres fauteuils, en face d’elle.
-
« Bien, » débuta-t-il après
un temps, « tout d’abord…comme je vous l’avais demandé,
J’espère que vous n’avez parlé à personne de notre
entrevue… ? »
-
« Non…euh, si, j’en ai parlé à
mon chien… mais en rêve ! »
François Hollande rit, ou plutôt, eut
un rire forcé puis, se reprenant :
-
« Bon, avant toute chose, j’ai voulu
que deux autres personnes assistent à notre entretien…vous
permettez ? » Il se leva et alla appuyer sur le bouton de l’interphone
de son bureau. « Veuillez faire entrer ces messieurs, s’il vous
plait. »
Par la porte ouverte par l’huissier,
entra d’abord Nicolas Sarkozy – préséance oblige - suivi de Jean-Christophe
Cambadélis qui avancèrent pour saluer François Hollande. Celui-ci, se tournant
vers Marine Le Pen, leur adressa :
-
« Je n’ai pas besoin de vous
présenter… »
Elle était, à vrai dire, comme
subjuguée par leur arrivée impromptue et commençait à se demander dans quel traquenard elle était tombée.
Il y eut un échange de tir fourni
de : « Monsieur le Président… », « Monsieur le
Président… », « Monsieur le Président… ». Puis, François
Hollande retourna s’asseoir derrière son bureau, invitant ses visiteurs à faire
de même. Considérant le désarroi de la
seule femme de ce quatuor, il prit le temps d’enlever ses lunettes, de les
examiner à la lumière et de les nettoyer avec le bout de sa cravate. Tout en
faisant cela, il s’adressa à Marine Le Pen :
-
« Madame…euh…si je vous ai
demandé de venir aujourd’hui…c’est…euh…c’est pour vous proposer un
marché… !
A suivre….
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire